Les néonaticides largement sous-estimés
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Les néonaticides largement sous-estimés
Pédiatre, épidémiologiste, chercheuse à l'Inserm, Anne Tursz* poursuit, année après année, son travail autour de l'enfance, qu'il agisse de maltraitance du déni de grossesse où comme ici, des néonaticides (définis comme un infanticide survenant dans les 24 premières heures de la vie).
Il y a en France, selon vous, plus de 5 fois plus de néonaticides que ce qu'en disent les statistiques officielles. Comment être vous parvenue à cette estimation?
Nous avons croisé les données de 26 tribunaux avec les statistiques officielles de mortalité dans trois régions: la Bretagne, l'Ile-de-France et le Nord-Pas de Calais. Résultat: nous avons repéré 2,1 néonaticides pour 100 000 naissances, contre 0,39 selon les statistiques officielles. Autant dire qu'il y a une sous-estimation massive de ce phénomène, au point que le pourcentage de 2,1 est, lui aussi, vraisemblablement en deçà de la réalité. Dans un 2ème temps, nous avons comparé le profil de ces mères avec celui de la population générale, et nous avons analysé le contenu de leurs expertises psychiatriques et médico-psychologiques.
Définition
Les néonaticides sont définis comme un infanticide survenant dans les 24 premières heures de la vie.
Quel est donc le profil de ces mères?
Elles sont toutes dans une extrême solitude morale, dévouées à autrui, très dépendantes - de leur mère, puis de leur compagnon. Leurs carences affectives, profondes, remontent à leur plus jeune âge, au point qu'elles ne se sentent pas autorisées à prendre une décision par elles-mêmes. Mais, à la différence des parents de bébés secoués, elles n'ont le plus souvent pas subi de violence durant leur enfance.
Autres caractéristiques: un tiers d'entre elles avait au moins 3 enfants, plus de la moitié vivait avec le père de leur enfant, les 2/3 avaient une activité professionnelle et leur catégorie socioprofessionnelle justement ne diffère pas de celle des femmes de la population générale.
S'agit-il d'un déni de grossesse?
Non, aucune de ces femmes n'était dans ce cas là: il ne s'agit pas de déni mais d'une situation de détresse totale, d'une sorte de stratégie pour se rassurer, pour éviter l'inéluctable. Il n'y avait pas non plus de maladie mentale, de schizophrénie, ni d'altération de leur discernement au moment des faits. En d'autres termes, ces femmes ne sont ni des monstres ni des folles.
En outre, celles qui avaient déjà des enfants étaient de bonnes mères, au sens général du terme. Aucune n'avait recours à la contraception (par oubli ou pas refus de principe, souvent du conjoint d'ailleurs), la plupart ont caché leur grossesse à leur entourage et toutes ont mis l'enfant au monde seules, en secret.
Qu'en est-il du père?
Dans les tribunaux, il est souvent considéré comme celui qui n'est responsable de rien, même si certains ont reconnu qu'ils avaient "des soupçons". Je pense également à ce père qui avait dit à sa femme "Si tu m'en fais un 3ème (sic) je te quitte", sans mesurer la portée de sa phrase. Mais certaines femmes protègent aussi leur mari pour éviter que celui ci se retrouve aussi en prison et, du même coup, que les enfants soient placés en institution ou en famille d'accueil.
Une dernière observation tout de même: certes, ces pères ne sont pas forcément irresponsables, certes, ces mères méritent, pour la plupart d'entre elles, notre compassion. Mais il ne faudrait pas oublier pour autant que la principale victime, c'est l'enfant.
(*) Anne Tursz est également l'auteur d'un ouvrage remarquable et passionnant, "Les oubliés, enfants maltraités en France et par la France", aux Editions du Seuil.
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